Dans l’exploitation familiale de Bernex (GE), Lara Graf élève des bufflonnes. A 21 ans, l’agricultrice fabrique et vend des mozarella di bufala. Avec sa production originale et unique dans le canton de Genève, elle s’est forgé une belle réputation.
A peine arrive-t-elle sur le domaine agricole familial que le visage de Lara Graf s’illumine. La jeune femme de 21 ans se dirige vers ses bufflonnes. A voir le troupeau s’agiter, l’agricultrice est attendue avec impatience. « Voici Caroline, ici c’est Betty. Elles sont plus curieuses que les vaches, elles viennent chercher des câlins », souligne-t-elle en présentant une à une ses vingt bêtes. Nous sommes à Bernex, dans la campagne genevoise. Lara Graf raconte avoir eu un coup de foudre pour les bufflonnes en 2019, lors d’un voyage en Italie. Fraîchement diplômée d’un CFC d’agricultrice, elle décide de se lancer dans l’élevage de cette race asiatique. Elle achète neuf bêtes. « L’objectif était de me lancer dans l’exploitation laitière en 2022, mais la naissance surprise d’un veau a accéléré les choses », se souvient-elle. La Genevoise commence par confectionner des yogourts et des glaces au lait de bufflonne dans son atelier de Bernex. Puis elle se met à la production de mozzarella di bufala. Un marché de niche : en Suisse, sur une trentaine de détenteurs de bufflonnes, très peu fabriquent eux-mêmes leur mozzarella, qui est le fromage le plus consommé en Suisse. Lara Graf prend cette activité très à coeur. Elle se rend régulièrement chez un collègue neuchâtelois du Val-de-Travers, spécialisé dans la production locale de mozzarella di bufala, pour apprendre à maîtriser cette technique et y fabriquer ses fromages. A Bernex, les locaux existants dévolus aux bufflonnes sont trop exigus pour permettre la création de la mozzarella. « Nous souhaitons construire une nouvelle structure, qui comprendra une étable avec une salle de traite pouvant accueillir 80 bufflonnes. Il y aura aussi une boucherie, une fromagerie et un magasin », précise Lara Graf. De quoi permettre aux clients de tout voir et de tout acheter au même endroit, mais aussi à la jeune fille de développer ses activités. « L’idée est de pouvoir fabriquer glaces, yogourts et fromage au même endroit. Je n’aurai ainsi plus besoin de congeler une partie du lait avant de le transformer. »
« J’ai dû faire ma place »
Chez les Graf, l’agriculture est une affaire de famille. Lara et son frère cadet Yan ont choisi de suivre les traces de leurs parents, Liliane et Marc, et de travailler dans leur exploitation, tournée vers la vente directe de viande de boeuf et de porc. « C’est ce que j’ai toujours voulu faire, mes parents ne m’ont pas imposé ce choix », précise celle que ses professeurs voyaient plutôt poursuivre des études académiques. Elle termine actuellement sa formation d’agrotechnicienne ES à l’institut agricole de Grangeneuve. Et travaille à 50 % dans l’exploitation familiale avec son père, sa mère, son frère et deux employés. En dépit de son jeune âge, l’agricultrice fait preuve d’une grande maturité. Elle explique avoir dû s’imposer dans le métier - encore plus en tant que femme. « Rien ne m’énervait plus que d’entendre dire que c’était mon frère qui allait reprendre la ferme ! Mais les mentalités évoluent, et aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir fait ma place », estime-t-elle. Son projet avec les bufflonnes y a contribué : « Avant, j’étais la fille de. Aujourd’hui, je suis Lara. Cette reconnaissance fait plaisir. » Comment voit-elle l’agriculture suisse évoluer ? « Les jeunes ont une carte à jouer. Il faut ouvrir nos portes, montrer comment on travaille et inciter à consommer local ». Lara Graf entend développer le créneau choisi par ses parents : la vente directe. « Toute notre viande est écoulée de cette manière. Nous ne dépendons pas des gros distributeurs. Nous bénéficions d’une clientèle fidèle, qui sait que chez nous, c’est de la fourche à la fourchette.»
Plus cher que le lait de vache
Pendant sa formation, Lara a travaillé sur plusieurs exploitations, en Suisse, mais aussi au Canada et en Irlande. Aujourd’hui, avec son troupeau, elle produit environ 40 litres de lait par jour. Car une bufflonne produit peu, entre 6 et 8 litres de lait par jour. « Nous le valorisons à 3 francs le litre, indique-t-elle. C’est plus cher que le lait traditionnel, mais si les bufflonnes produisent trois fois moins que les vaches, elles mangent tout autant… » Par ailleurs, leur lait est très riche en matières grasses et en protéines. Plus digeste, il séduit de nombreuses personnes intolérantes aux produits laitiers. Au goût, la mozzarella di buffala de la jeune Genevoise est plutôt douce, avec une pointe d’acidité. Sa texture est crémeuse et fondante, bien différente de la mozzarella industrielle produite avec du lait de vache.
Diversifier ses produits
Lara se lève très tôt chaque matin. Après la traite de ses bufflonnes et la supervision de l’élevage des autres animaux de l’exploitation, elle s’attelle à la fabrication des yogourts et des glaces. Et teste de nouveaux produits. D’ici quelques mois, elle espère pouvoir commercialiser des tommes affinées au lait de bufflonne. « Je suis en pleine phase d’essais de production », explique-t-elle en retournant les fromages pour que la croûte se forme. L’après-midi est surtout consacré aux visites des clients et à l’administration. Lara, comme son père avant elle, commande les semences de l’exploitation auprès du Cercle des Agriculteurs de Genève et les aliments pour le bétail au Moulin de La Plaine, deux coopératives membres de fenaco. « Yan et moi avons la chance de bénéficier du soutien et du conseil de nos parents. » Pour un ou une jeune qui débute, le parcours est semé d’embûches et les nombreuses démarches administratives ont de quoi dissuader même les plus motivés. Sa journée de travail se termine souvent par un passage à la boucherie et au magasin. Histoire de donner un coup de main à sa maman, Liliane, et de soigner le contact avec sa clientèle.